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Photo du rédacteurMarie

L'importance des mots...

Mon premier mémoire de fin d’étude d’infirmière se nommait "Mots à maux : un dialogue soignant nourrisson". Il traitait déjà à l’époque de l’importance de parler aux bébés pendant les soins autres que ceux du nursing. Parler aux bébés, je l’ai déjà mentionné et on aura l’occasion de revenir sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur.


Pendant ma spécialisation de puéricultrice, j’ai eu la chance de côtoyer de merveilleux formateurs (avec lesquels je suis restée en contact tant ils continuent à m’apprendre plein de choses). L’un d’entre eux nous a sensibilisé sur notre façon de parler aux parents et l’importance des mots employés. Son cours m’a marqué à jamais et j’y ai été vigilante dès le début de ma pratique.

Il y a tellement de choses qui se cachent derrière les mots que l’on emploie.

En bien, comme en mal. Et au-delà du charabia technique que l’on a déjà évoqué ensemble, certaines phrases anodines ou courante prennent un tout autre sens pour les parents.

Les soins sont souvent banalisés au point de générer leur propre vocabulaire. La routine nous fait devenir aussi parfois moins vigilante à notre façon de parler.


Premier exemple sur un mode humoristique.

Tour de 11h, échanges entre plusieurs soignantes dans le service de réa-néonat.


"- Les filles ? Qui vient faire les SAUCES ?

- Je peux pas, je pose une NOUILLE à midi.

- Ah bon ? Pour qui ?

- Bah tu sais bien, pour la petite CREVETTE qui est née cette nuit.

- Ah oui, la 202 ! Elle n’est pas trop perdue dans son TUNNEL ?

- De toute façon, elle avait besoin de PHOTO, elle est un peu CAROTTE !

- Moi, je peux mais avant, faut que je sorte Lino d’INCU. Et puis faut monter un BOX, il y a un PETIT POIS de prévu pour cet aprem. Tu sais bien, on en a parlé aux TRANS !

- Moi, je suis dispo dès que j’ai terminé la TULIPE de Maëlle. Je lui remets ses LUNETTES et c’est bon.

- Ok, bon, bah en attendant, je prépare, je me lave, je m’habille et je me mets en STÉ, les PRESS sont prêtes !


Les sauces sont les parentérales, perfusions centrales pour nourrir l'enfant.

Les nouilles sont les cathéters centraux, les voies d'abord qui permettent de perfuser l'enfant avec la solution parentérale. Elles sont toutes fines et ressemblent effectivement à des nouilles...

La tulipe est une façon d'administrer le lait par la sonde gastrique en utilisant la gravité et non pas un pousse-seringue.

Les lunettes sont le dispositif à oxygène pour aider à respirer ou une protection contre la lumière des UV pendant la photothérapie. Photothérapie souvent réalisée dans un tunnel pour les enfants les plus grands, afin d'en profiter à 360° et ainsi perdre ce teint un peu orangé dû à l'ictère.

L'incu est un incubateur, la couveuse pour permettre à l'enfant de maintenir une température corporelle adaptée.

Les trans sont l'abrévation de transmission, sté de stérile, les press sont les prescriptions.

On évitera aussi de parler d'en enfant en désignant son numéro de chambre (202) ou en appelant cette dernière un box, tout comme on fera attention à l'emploi des mots comme crevettes, petits pois ou grenouille en référence à sa corpulence, taille ou position.



Le choix des mots employés lorsque l’on échange avec des parents de bébés hospitalisés sont primordiaux.

Utiliser un vocabulaire approprié auprès des parents les sécurise, les rassure et leur permet aussi de comprendre la situation et d’être ainsi acteur de l’hospitalisation de leur enfant.


Voici un second exemple avec un inventaire de phrases plus ou moins maladroites ou blessantes qu'ils peuvent malheureusement être amenés à entendre :


- Il est vraiment tout petit !

Comme si les parents ne le ressentaient pas encore plus que nous.


- Oh, 34 semaines, ça va, c’est de la petite prématurité !

Il n'y a pas de "petite prématurité". Chaque maman espère mener sa grossesse jusqu'à la date prévue.


- Je le débranche ?

On"éteint" le scope, on ne "débranche" pas un enfant, cela renvoie trop à la notion d'arrêt de soin.


- Vous lui changez les fesses ?

C'est la couche qu'il faut changer, les fesses on les nettoie.


- Il a pleuré toute la nuit !

Le parent culpabilise beaucoup et a déjà suffisamment de difficultés à laisser son bébé seul la nuit, cela ne le rassure pas sur la qualité de prise en charge ni sur l'état de santé de son enfant.


- Vous partez déjà ?!

On ne connaît pas les raisons de départ, la façon dont se sent le parent, les freins, les difficultés éventuelles etc.


- Vous savez, vous ça va, il y en a dans le service à côté qui ne font pas 1kg, alors bon…

Il existe toujours des situations plus graves ailleurs. Ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas prendre en compte individuellement les difficultés de chaque parent.


- Il a fait des bêtises ce matin

Ce terme de bêtises renvoie la faute sur l'enfant qui ne se comporte pas bien et peut angoisser inconsciemment les parents sur d'éventuelles punitions qui en découleraient ou sur le fait que leur enfant ne fait pas ce qu'il faudrait.

Il est souvent utilisé par les soignants pour minimiser une situation et ne pas inquiéter les parents avec des termes comme bradycardies ou désaturations mais d'autres processus rentrent en jeu, pas forcément plus rassurants.


- On va être obligée de la gaver

L'alimentation n'est pas encore autonome mais ce terme est d'une violence et renvoie visuellement à quelque chose d'insupportable. On aliment via la sonde en attendant l'acquisition de l'alimentation par la bouche.


- Il n’arrête pas de sonner

C'est comme si l'enfant réclamait tout le temps et embêtait les soignants par trop de sollicitations.


- On a dû le piquer beaucoup ce matin

Piquer renvoie à la douleur ou au geste de fin de vie des animaux.

Parler de prélèvement est plus adapté et n'envoie pas la même image inconsciente.


- C’est une râleuse

Un bébé ne râle pas. Il n'a pas mauvais caractère, il ne le fait pas exprès.

Il pleure pour exprimer ses besoins, c'est la seule façon pour lui d'alerter l'adulte sur la nécessité de s'occuper de lui.


- Faut demander avant de le prendre !

A nous soignant d'expliquer les contraintes et les difficultés ou consignes à respecter à cause de la présence de matériel auprès de l'enfant.

A nous également de les informer sur leur rythme, leur besoin de sommeil et la meilleure façon d'en tenir compte et de les respecter pour les aider à mieux grandir et progresser.


- Dommage, vous arrivez trop tard, il était réveillé il y a 5 minutes !

Les parents ne sont pas toujours maîtres de leur emploi du temps et il est parfois difficile de respecter les horaires des soins (qui ne correspondent pas forcément aux périodes d'éveil de l'enfant).

Le présenter ainsi renforce le sentiment de culpabilité et d'incompétence du parents qui fait ce qu'il peut avec ce qu'il a pour être présent auprès de son bébé.



Restons vigilant également à la manière de nous exprimer entre nous.

Notre quotidien de professionnel ne prend pas le même sens lorsqu’il s’agit de l’enfant de quelqu’un. Notre façon de nous exprimer peut blesser énormément les parents, même lorsqu’il ne s’agit pas de leur enfant.

Les discussions entre soignants (pendant les pauses, les transmissions…) sont souvent entendues par les parents qui, c’est bien normal, sont aux aguets des moindres signes pour se rassurer et établir une relation de confiance avec les personnes à qui ils confient leur bébé si petit.


"- Qui prend le 214 ?

- C’est le mien. Donne-le-moi

- Oh, non, lui, il pleure tout le temps.

- J’ai déjà 2 intubés

- Sa mère, elle n’arrête pas d’appeler !"


Les parents entendent toujours tout… Et ils peuvent craindre ensuite qu’on ne s’occupe pas au mieux de leur bébé, ce qui augmente une angoisse déjà bien présente.



A nous, professionnels, d’être vigilants et de modifier nos comportements et notre langage !

A vous parents, de faire remonter auprès des cadres des remarques ou des phrases inappropriées pour faire évoluer les pratiques.

Et si c'est votre cas et que vous avez été blessés, parlez-en avec la personne concernée ou avec une psychologue pour ne pas laisser s'ancrer ces propos en vous.








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